On the road 95

Bien qu'il aurait probablement espéré un train un peu plus rapide, il s'agissait bien d'un véhicule tiré par des animaux après tout. Vu le prix de l'essence de nos jours, ce n'était pas exactement chose très étonnante. Au moins s'il avait à marcher malgré tout, il était certain d'aller dans la bonne direction d'abord, et le fait de pouvoir se reposer alors qu'ils se déplaçaient toujours était certainement un plus. L'idée de se déplacer pendant la nuit n'était pas exactement rare. Cela évitait au moins de se taper la chaleur et donc de se fatiguer moins vite. Si ces nomades voyaient les mercenaires qu'ils avaient employé plus ou moins comme de la chaire à canon, ils devaient au moins s'imaginer qu'ils ne serait pas particulièrement utiles si complètement épuisés. À moins que le véhicule ne soit prêt à démarrer en cas d'urgence, il n'y aurait pas d'autre option que de se défendre si jamais ils se faisaient attaquer par des pillards qui ont leurs propres véhicules. L'obscurité offrait d'ailleurs un certain calme, bien qu'il était vital de rester sur ses gardes. Un étrange mélange d'ennui et d'anxiété flottait dans l'air. C'était calme oui, mais cela tapait justement sur les nerfs quand c'était un peu trop calme. Au moins le vétéran avait sa paire de jumelles qui se trouvaient être bien utiles pour regarder à l'horizon. Si un véhicule s'avérerait très facile à repérer, un petit groupe de pilleurs serait beaucoup plus difficile à repérer.

Le soldat avait une bonne endurance et le savait, mais depuis qu'il avait subi son changement, il se sentait fatiguer un peu plus vite. Sans doute du fait que Cassandra avait réduit sa masse musculaire à la fois pour rendre sa nouvelle apparence plus convaincante. Il ne s'en sentait pas moins endurant tout de même, et il était en très bonne forme pour quelqu'un de son âge. Quand ce fut à son tour de se reposer à l'arrière par contre, il aurait espéré pouvoir passer un moment à pouvoir s'étirer un peu les jambes et relaxer sans pour autant dormir, mais il semblerait qu'il devra se taper d'abord des présentations. C'était une chance qu'il portait son cache-nez sur son visage, car c'est une bonne grimace qu'il avait tiré en l'écoutant parler, surtout quand il vint dire «ma belle». Ce n'était pas un terme qu'il utilisait, et il n'allait certainement pas commencer, c'était plutôt irritant il fallait avouer. Il aurait pu faire ça avant qu'ils ne partent d'abord, pas alors qu'ils se trouvaient en territoire dangereux. Au moins il s'était suffisamment rapproché pour éviter de faire trop de bruit. Il écouta d'une oreille un peu distraite l'homme tandis qu'il reposait à moitié étendu tout en regardant les étoiles. Il répondit d'une voix basse, tout juste assez forte pour qu'il comprenne.

-Elizabeth. Le monde change tout le temps, qu'on l'accepte ou pas. Reste vigilant et j'aurai probablement pas à te sauver le cul. D'où je viens n'a plus d'importance, ça n'existe plus et c'est tout ce qui compte. Je compte pas entrer dans les détails.

Il n'était pas du genre très bavard comme à son habitude. Se taper la causette n'était pas exactement dans son intérêt. Ce n'était peut-être pas tant pour malfaire, mais il n'avait jamais vraiment eu le profil du grand parleur. Pour ce qui était de se faire des potes parmi les mercenaires et les nomades ici, il en doutait fort et préférait éviter. D'autant qu'il comptait bien se débarrasser de cette poitrine encombrante au plus vite. Il tira son maquillage de camouflage de ses affaires. Comme il ne pouvait pas mettre ses lunettes de soleil avec cette obscurité, un peu de noir sous les yeux devrait faire l'affaire pour éviter de se prendre du sable dans les yeux, ce qui était fort utile mine de rien.

La nouvelle de l'agitation de l'Unité n'était pas quelque chose que le vétéran percevait d'un très bon oeil. Dans ce genre d'organisations, ce qui est visible n'est souvent que la pointe de l'iceberg. Avec ce qui est arrivé aux Sables, il serait peu étonnant qu'ils prennent cette opportunité pour étendre leur influence. Toutes ces personnes prises au dépourvu et effrayés, il leur serait facile de les rallier à leur cause s'ils leurs offraient leur protection face aux pillards. Cette pensée seule suffisait à Karl pour serrer des poings sur son arme. L'histoire s'était trop souvent répétée à ce niveau. Quand un groupe paramilitaire prend en charge la protection d'une communauté, ça ne se termine jamais bien, encore moins de nos jours comme plus personne n'en a quelque chose à faire de l'éthique de guerre quand tout ce qui compte est d'avoir les plus grosses armes.

Ces pensées, il les ruminera plus tard comme de toute évidence ils étaient attaqués. Le rugissement laissait deviner qu'il ne s'agissait pas de pillards, mais bien d'au moins un mutant. Par réflexe, il avait pu éviter des blessures beaucoup plus graves encore, mais simplement survivre n'était pas quelque chose de particulièrement glorieux en soi. Il y avait encore un monstre enragé qu'ils devaient abattre. La douleur qu'il éprouvait lui arrachait une vive douleur, mais aussi une certaine excitation alors qu'il anticipait la suite des choses. Ses blessures étaient graves aux yeux d'une personne qui ne saurait se régénérer. Somme toutes, tant qu'il était encore en un seul morceau, tout allait bien. Il était obligé d'admettre que cette chose qui s'était décidée à les attaquer était vraiment formidable pour avoir renversé le véhicule d'un seul coup. C'était sans parler du barbu qu'il venait de mettre en pièces. Des blessures, il en avait vu beaucoup, et à voir sa tête, il ne se relèverait pas de celle-là. Lui-même doutait être capable de survivre à un tel choc.

Certes, il pouvait encore se cacher, éviter complètement l'affrontement tandis que cette chose était occupée avec les autres, mais s'il était incapable de voir l'expression sur la tête de ses collègues, il avait un sourire inquiétant aussi large que lui permettait sa joue enfoncée. Un seul coup et c'en serait probablement finit de lui, que demander de plus pour un adversaire de taille? C'était une bonne chose que ses jambes étaient toujours fonctionnelles, car il ne perdit pas de temps pour piquer un sprint en direction du mutant. Il cherchait de son bras valide parmi ses possessions pour en sortir la seringue de taraxine qu'il possédait encore. Il aurait préféré la garder pour lui, mais aux grands maux les grands remèdes. Tirer dessus avec un pistolet n'allait pas s'annoncer bien efficace du fait qu'il ne semblait avoir rien à faire des balles. Soit sa peau était trop épaisse pour les laisser passer, soit il était trop féral pour s'en faire tout simplement. Il préférait sincèrement passer à l'action plutôt que de le découvrir à la dure. Il décapuchonna la seringue à l'aide de ses dents, et tira un peu d'air dans la seringue. Du peu de connaissances médicales qu'il possédait, il savait au moins qu'une bulle d'air dans le système sanguin pouvait se montrer très dangereuse. Comme plan B, il s'était saisit de son couteau et le tenait fermement entre ses dents par le manche, de sorte à pouvoir le saisir si jamais son idée foirait. Il redoutait l'idée où l'aiguille se briserait contre la peau du mutant, auquel cas le seul moyen de lui faire prendre cette drogue serait de la lui enfoncer dans la gueule, quitte à perdre l'usage de son autre bras. Sa meilleure chance était de l'attaquer par derrière en profitant de la diversion que faisait les autres mercenaires, tout en espérant qu'il ne remarque pas sa présence avant qu'il ne soit trop tard.

Karl commença à regretter un peu d'avoir chargé d'abord. Il semblerait que l'animal ne soit pas à l'épreuve des balles, ces idiots ne savaient tout simplement pas tirer. Va pour l'hypothèse selon laquelle ils étaient pauvres et non plus spécialisés dans les armes semi-automatiques. Il allait devoir faire avec ses erreurs à présent, erreur qui allait peut-être lui coûter la vie en fait. Trop tard pour pleurer, il avait un monstre mutant à tuer ou mourir en essayant. Et en plus il avait l'haleine qui allait avec sa sale tête. Toutefois, l'animal sauvage allait bien vite regretter de rugir de la sorte. S'il avait probablement la peau épaisse, le vétéran était prêt à parier que l'intérieur de sa bouche elle n'allait pas être bien protégée. Le couteau à nouveau entre ses dents, il sortit en vitesse son pistolet pour prendre sa cible et viser. Si jamais il n'aura pas le temps de lui mettre une balle dans la bouche avant qu'il ne charge, il pourrait au moins se rabattre sur les yeux qui, bien qu'ils étaient une cible difficile à toucher, auraient eux aussi beaucoup d'effet sur cette chose.

Au combat rapproché par contre, il n'allait pas faire long feu avec juste un pistolet. Le couteau lui semblait avoir un certain impact, mais il aurait besoin de quelque chose de plus gros. Si seulement il avait eu le temps de sortir sa pelle et la déplier, mais faute d'avoir un seul bras valide, il allait devoir faire avec. Va donc pour le couteau, mais cela tenait surtout du dernier recours. Il espérait surtout que la diversion qu'il faisait allait laisser le temps aux autres mercenaires restants d'ouvrir le feu et de tuer ce monstre. Ce qu'il espérait surtout était qu'ils ne prennent pas la fuite en s'apercevant qu'ils n'étaient plus poursuivis.

-Au cas où vous vous demandiez, ce serait un bon moment pour donner un coup de main.

Un peu plus décevant que ce que le vétéran avait envisagé. Il ne s'agissait pas exactement du guerrier formidable auquel il avait espéré. Certes le prédateur avait été fort dangereux, mais également très peu intelligent. Comme quoi la chasse était un sport certes de nos jours, mais les humains seront toujours le plus dangereux des prédateurs. Son heure viendrait un autre jour dans tous les cas. L'odeur des corps n'était pas quelque chose qui venait l'atteindre, mais ce n'était jamais exactement agréable, et puis ce mutant relâchait réellement une odeur horrible. Il était sûr d'assumer que les charognards n'allaient pas tarder à affluer ici et se battre pour les restes. Avec un peu de chance ils allaient laisser la marchandise tranquille, bien qu'il était curieux de voir l'état dans lequel se trouvait le camion. Ils l'avaient tiré avec des bêtes de somme jusqu'ici, mais peut-être était-il en état de marche, voire même pouvait-il contenir un peu d'essence. Ils pourraient s'en servir pour se rendre jusqu'à leur destination si jamais ce serait le cas, et le tout de façon relativement rapide et sécuritaire. Vu le prix de l'essence ce serait compréhensible qu'ils viennent à utiliser ces animaux pour économiser un peu.

-Le véhicule peut peut-être encore marcher, pour autant que l'on puisse le retourner avec mon bras en miettes. Autant ramasser ce que l'on peut et on pourra leur donner la position de la caravane pour qu'ils puissent la récupérer. Avec un peu de chance ils nous donneront un quelque chose pour nous compenser pour l'information à condition que des passants ne se servent pas en premier.

Le vétéran se releva et colla deux balles dans le crâne du mutant au passage pour s'assurer qu'il ne tenterait pas une attaque sournoise. L'arme du barbu l'avait quelque peu intéressé. Ce n'était pas comme s'il cherchait à remplacer son Garand, mais un fusil à lunette pourrait s'avérer plutôt utile vu ses talents particuliers. Vérifier les corps pour s'assurer s'ils étaient bel et bien morts était une option également. Après quoi, tout comme le noir l'avait mentionné, mieux valait ne pas rester trop longtemps ici car les charognards et les prédateurs n'allaient pas tarder à arriver ici une fois qu'ils auront l'odeur des corps.

-D'autres diraient plutôt suicidaire, mais autant ne pas jouer sur les détails quand ça marche. Un vieux dicton dit que celui qui va au combat en s'attendant à mourir vivra, et vice-versa. Tu as une arme qui fonctionne? Je dis ça parce que je pourrai pas me servir de mon fusil d'épaule dans mon état, alors autant te le remettre jusqu'à notre arrivée. Deux armes valent mieux qu'une.

La proposition du noir de s'enfuir avec le matériel des nomades maintenant qu'ils avaient la voie libre ne l'étonnait pas outre mesure, bien qu'il leva quand même un sourcil à ce moment-là. Le vétéran n'était plus très fan de recevoir des ordres et d'être subordonné, mais il avait tout de même encore le sens de la loyauté, ou plutôt de l'honneur du temps que ce mot était encore courant. Il secoua la tête et lâcha enfin un soupir. Il n'était pas assez déterminé pour se battre contre lui pour du matériel qui ne lui appartenait pas, mais c'était chose certaine qu'il n'allait pas y participer. De toutes façons il avait beaucoup plus urgent à faire.

-Fais ce que tu veux, moi je me rend jusqu'à Sanitaville. J'ai quelque chose de plutôt urgent à faire là-bas. Je prend le volant et je m'approcherai de la ville. Je ferai le reste du voyage à pied s'il le faut.

Difficile à dire s'il allait accepter. Dans le pire des cas il allait le prendre pour un chevalier blanc qui allait le moucharder auprès des nomades, mais s'il lui laissait le véhicule une fois arrivés ce ne devrait pas être un problème. Dans tous les cas, Vegas ne l'intéressait pas vraiment. Trop d'ordures dans les parages à son goût. Il avait cependant eu des rumeurs des activités de l'Unité là-bas., nouvelles qui ne lui plaisait guère. Il n'avait pas exactement le temps de s'y mettre vu leurs problèmes de sorcière, mais ce cas lui restait en tête. Ils avaient été discrets depuis le temps, et même quand ils se font plus actifs ils demeurent relativement dans l'ombre. S'ils commencent à s'agiter de la sorte, c'était qu'ils préparaient quelque chose de gros. Un nettoyage racial de Vegas? Difficile à dire, même pour eux ce serait difficile d'écarter les gangs à eux seuls, surtout dans un scénario de guérilla où ils sont les agresseurs.

L'état du véhicule dans lequel ils avaient prit place l'étonna. Comme quoi les nomades savaient prendre un peu soin de leurs possessions. Comme il l'avait prédit, ils tiraient le véhicule avec des animaux pour sauver de l'essence, mais en gardaient dans la jauge en cas d'urgence. Il tapota du bout du doigt sur la jauge pour s'assurer qu'elle n'était pas simplement coincée. Il fila d'abord un coup d'accélérateur pour aider le moteur à se décrasser un peu, puis se mit en route.

-Garde un oeil sur les environs, les Skullz ne restent pas si loin d'ici et j'ai pas envie de faire une rencontre avec une patrouille ou un groupe de raiders.

Il marqua un temps d'arrêt pour réfléchir à la réponse de Karl. Il ne s'attendait pas à ça. Personne ne refusait de faire fortune aussi facilement dans cette partie du désert.

"Mouais. Comme tu veux. C'est encore mieux si j'ai rien à partager. Allons jusqu'à la ville. De toute façon, même si tu me balances, le temps qu'ils réagissent, je serais loin."

Ayant conclus l'affaire. Il fit un rapide tour du carnage pour balancer le matos qui semblait avoir le plus de valeur à l'arrière du pick-up puis se glissa sur le siège passager avec un sourire avide.

"En route milady !"

[/i]Karl soupira. Le poids de sa poitrine protubérante en était accentué. Vivement qu'il retrouve son corps d'origine. Il pressa sur l'accélérateur. La mécanique se jouait du mauvais terrain avec une certaine habileté. Si les nomades ne portaient aucun intérêt à l'extérieur de leurs véhicules, le moteur devait être presque comme neuf. Même si Karl n'avait pas besoin de soulever le capot pour savoir qu'il n'était pas d'origine. Dommage pour eux qu'ils n'aient pas eu l'occasion de s'en servir pour s'enfuir. Karl se demandait combien de caravane et d'hommes ils avaient abandonnés à leur sort pour assurer leurs survies. Et qu'est-ce qu'ils disaient à leurs supérieurs lorsqu'ils revenaient sans le matériel. Dans un monde ou un fusil avait plus de valeur qu'une vie humaine, il était en droit de se poser la question.

Le reste de la route se déroula sans heurt. Ils passèrent bien près de ce qui ressemblaient à une bande de pillards mais ils n'étaient pas motorisés. Les quelques coups de feu qu'ils tirèrent sur le véhicule ne firent pas mouche. Karl ne savait pas où se trouvait Sanitaville exactement mais le noir était capable de se diriger. Après trois heures de route, ils arrivèrent en vue de la ville. [/i]

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